Harcèlement moral : le dur réveil après l'emprise
Publié le 09/05/2012 à 06h00
Par Élisa artigue-cazcarra (Journal Sud-Ouest)
Depuis février, l'association Halt'Hamo a créé, à Pau, un groupe de parole pour les victimes.
-Rencontre avec huit femmes
Le harcèlement moral touche tous les champs des relations humaines, y compris le couple.
Trentenaires, quadras, quinquas, elles sont huit femmes issues de tous les milieux. Toutes ont été harcelées, que ce soit par leur conjoint, leur famille, ou au
travail. Brisées par ces violences psychologiques, elles tentent aujourd'hui de se reconstruire. Parce qu'elles espèrent que leurs témoignages « aident d'autres victimes à défaire
leurs chaînes », elles ont accepté notre présence à l'un des groupes de parole organisés par l'association paloise Halt' Hamo 64, une association fondée en octobre dernier
par des thérapeutes, juristes et enseignants...
Un délit très difficile à caractériser
Le harcèlement moral est une infraction bien précise mais l'une des plus difficiles à caractériser sur le plan juridique. Le législateur a décidé de réprimer deux
cas:
- le premier consiste en « des agissements répétés, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter
atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Il est passible d'un an d'emprisonnement et de
15 000 euros d'amende.
- le second est défini par le code pénal comme « le fait de harceler son conjoint, son partenaire ou son concubin par des agissements
répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie et se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale
». Ce délit est passible de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende ou cinq ans de prison et 75 000 euros en fonction de la gravité des faits.
Malgré cet arsenal juridique, peu de victimes portent plainte. Chargée du contentieux de la famille au parquet de Pau, la substitut Orlane Yaouanq estime
« à une petite dizaine » le nombre de plaintes de personnes victimes de harcèlement conjugal pour l'année 2011. « La première difficulté, c'est que les victimes,
souvent, ne nomment pas le harcèlement. La seconde, c'est la preuve. Il nous faut un certain nombre d'éléments pour pouvoir caractériser cette infraction, à savoir des agissements répétés et au
moins des témoignages, voire un certificat médical. »
Depuis 2010 le code civil prévoit également un dispositif particulier pour les victimes de violences conjugales qui peuvent directement saisir le juge aux affaires
familiales sans porter plainte : celui-ci peut prendre une ordonnance de protection éloignant le conjoint violent ou harceleur. Mais là aussi, le juge a besoin d'éléments probants.
Une fois par mois, depuis février, elles se retrouvent au cabinet de Myriam Schneider, psychologue à Pau et présidente d'Halt'Hamo (1). Deux heures durant, devant
deux thérapeutes, elles échangent, livrent leurs états d'âme, se conseillent entre «soeurs de galère». La formule est d'Élodie (2), la trentaine. C'est la seule du
groupe à être là pour du harcèlement moral dans le cadre professionnel. Sous antidépresseurs, cette employée d'un petit commerce du centre de Pau, qui endure les humiliations et brimades de sa
patronne depuis deux ans et demi, sort peu à peu la tête de l'eau. Elle s'est rapproché d'un syndicat, a rencontré un avocat et a décidé de se battre pour « être reconnue comme
victime ».
Une reconnaissance juridique et sociale très difficile à obtenir pour ses compagnes d'infortune qui ont vécu une forme de harcèlement encore plus perverse, dans le
huis clos conjugal ou familial. Leur calvaire a duré des dizaines d'années. Marie, la cinquantaine pimpante, est restée dix ans avec son bourreau. « J'ai encore du mal à comprendre ce
qui s'est passé. J'ai perdu ma spontanéité, ma joie de vivre. Mon cerveau est comme brouillé. Il m'a tellement dit pendant des années que tout était de ma faute que je me sens encore coupable
alors que j'étais victime », raconte-t-elle.
Manipulées et prisonnières
Évelyne, belle femme au regard aussi sombre que sa chevelure, a tout enduré pendant trente ans avec le père de ses trois enfants. Elle croyait avoir rencontré
« le prince charmant », « un homme brillant, à l'aura impressionnante ». « C'était en fait un superbe manipulateur, qui soufflait le chaud et le froid pour me placer sous son
emprise. Un coup, j'étais la femme la plus merveilleuse du monde, le lendemain les humiliations verbales et physiques se succèdaient, mais jamais devant témoin. »
« Il me tenait aussi en me maintenant femme au foyer : isolée et sans ressources, j'étais sa prisonnière », relate cette femme qui
s'enfermait toutes les nuits pour se protéger. Elle a fini par trouver la force de partir. « En voyant grandir mon fils, j'ai eu peur qu'il devienne comme son père. Ce fut un déclic.
» Aujourd'hui, elle vit dans la précarité, « n'arrive plus à lire et à se concentrer » et l'une de ses filles est en dépression.
Josiane, une quinqua employée de bureau, a perdu le sommeil. C'était pourtant une grosse dormeuse. « En venant ici, j'ai réalisé que cela faisait des
années qu'il me harcelait et pas seulement les derniers temps de notre mariage. »
« Il faisait exprès de me réveiller toutes les nuits, me répétait à chaque repas que je mangeais trop vite et s'est mis à me surveiller et à me suivre
quand j'ai pris un peu d'indépendance en m'inscrivant dans une salle de sport. »
Alice vient de se séparer. Elle a tenté de porter plainte contre son ex-mari pour harcèlement moral. « On m'a répondu que je n'avais aucune preuve, que
c'était sa parole contre la mienne. » « La réponse des institutions et de l'entourage est l'une des principales difficultés auxquelles se heurtent les victimes, insiste Myriam
Schneider. Quand elles prennent conscience de ce qu'elles subissent et réussissent à sortir de leur silence, elles se confrontent souvent à un mur d'incompréhension. Pris séparément,
les actes et paroles qu'elles décrivent peuvent paraître anodins, mais analysés dans leur ensemble, ils constituent le harcèlement, sujet sur lequel il y a encore fort à faire pour sensibiliser
le public. »
(1) C'est là, au 39 boulevard Alsace-Lorraine, que se trouve le siège d'Halt'Hamo à Pau (tél. : 06 44 90 64 99)).